Impact

« La parentalité en entreprise : il y a encore du boulot ! »

Flore Villemot, DRH chez The Boson Project

En juin 2023,  The Boson Project – cabinet de conseil spécialiste de l’engagement au travail a mené une étude « Travail & Parentalité : une difficile articulation« . L’ambition de l’enquête : investiguer autant le vécu parental (1000 parents interrogés via un institut de sondage) que la mise en mouvement des entreprises sur le sujet (20 DRH interrogés).

Le titre de l’étude reflète ses résultats : 77% des interrogé(e)s considèrent la conciliation travail et parentalité comme difficile ou très difficile, et cela pour tout type de parent. 

Cette étude souligne l’urgence d’agir pour prévenir l’épuisement de plusieurs générations de parents et appelle à réinventer les modes de travail et de management. D’autant que l’entreprise y a tout intérêt : l’adoption de politiques favorables à la parentalité vise la performance et l’attractivité sur le long terme. Les parents nous le disent : ça fait vraiment toute la différence !

Si des solutions émergent, axées sur la flexibilité et la communication au sein des entreprises, des obstacles demeurent. Pour parler concrètement de ce sujet, Flore Villemot, DRH chez The Boson Project, nous propose des pistes de réflexion pour favoriser une meilleure conciliation entre parentalité et travail.

Flore Villemot, DRH chez The Boson Project

Quel état des lieux faites-vous aujourd’hui sur la parentalité ?

Notre étude s’est penchée sur les défis relevés au quotidien par les salariés-parents. Les résultats sont sans appel : 8 parents sur 10 affirment que la conciliation vie pro et vie perso est un défi du quotidien. Beaucoup ont le sentiment de ne jamais être à leur place au bon moment. Pour s’adapter à ce nouveau rythme de vie, 61% disent travailler en dehors des horaires. 

Et devinez pour qui c’est le plus compliqué ? 

La génération Y vit particulièrement mal cette parentalité sous pression. Entre 30 et 40 ans, il faut tout réussir et surtout en France : avoir des enfants, acheter un appartement, performer au travail tout en essayant d’être des parents parfaits. A l’heure de l’éducation positive et des 1001 conseils pour bien faire, le travail parental s’est intensifié, avec son lot de doutes et de culpabilité. En parallèle, le travail s’est aussi densifié, avec l’hyperconnexion et l’urgence permanente.

Et aussi les femmes bien sûr, qui portent encore majoritairement la charge mentale et les responsabilités familiales. Même si ce propos est à nuancer notamment pour la génération Y qui travaille à de nouveaux équilibres. Mais au global, lorsqu’on interroge les femmes, elles parlent de difficultés logistiques alors que les hommes évoquent un temps à consacrer à leur enfant. Un chiffre est très parlant : une étude menée par Doctolib a révélé que 85% des rendez-vous médicaux des enfants sont pris par les mères.

Alors, comment changer la donne ? Les entreprises commencent à s’emparer du sujet, poussées par les enjeux d’égalité hommes-femmes. Car oui, la maternité a encore un impact majeur sur les carrières des femmes. Favoriser la prise du congé paternité par les hommes pourrait créer plus d’équité. Certaines entreprises misent aussi sur des mesures pour encourager les pères à s’investir dès la naissance, une période clé où se mettent en place beaucoup d’automatismes qui vont perdurer.

Mais il reste du chemin à parcourir. Si le congé paternité est passé à 28 jours en juillet dernier, beaucoup de pères ne le prennent pas en entier. Qu’en sera-t-il du futur congé naissance de 6 mois à répartir entre les femmes et les hommes, imaginé par le gouvernement ? Une chose est sûre :  il y a urgence à agir pour ne pas épuiser toute une génération de parents.

Face à la parentalité, toutes les organisations sont-elles logées à la même enseigne ? 

Comme dit précédemment, notre enquête montre qu’il existe des difficultés à concilier vie pro et vie familiale, avec des disparités notables selon les secteurs. Ils sont 85% dans la santé, 82% dans l’éducation et 79% dans les transports à nous dire qu’articuler parentalité et travail est difficile ou très difficile. Paradoxalement, les secteurs réputés « family-friendly » comme l’éducation – qui ont attiré de nombreux parents en quête d’un meilleur équilibre – connaissent des difficultés persistantes. Notamment à cause du manque de flexibilité sur les horaires et d’un manque de pouvoir d’achat pour pouvoir accéder à de l’aide.

Les témoignages de certaines infirmières comptent parmi les plus marquants. Ces dernières se retrouvent contraintes de puiser dans leur épargne pour financer les frais de garde du matin. Les professeurs mono-parents se retrouvent aussi dans des situations très délicates, avec des emplois du temps peu compatibles avec leurs responsabilités familiales. Sans oublier les nuits de garde aux urgences, autant de casse-têtes qui étouffent certaines vocations.

Quel est l’enjeu clé pour les RH pour améliorer la situation ?

Certes, la parentalité n’explique pas à elle seule les tensions qui traversent ces professions, qui souffrent aussi d’un manque de reconnaissance, de moyens et de perspectives salariales. Cependant, certains leviers peuvent être activés par les organisations pour minimiser spécifiquement les contraintes liées à la parentalité. 

Les focus groups menés lors de l’enquête révèlent que la flexibilité est devenue un facteur clé de bien-être pour les parents au travail. Lorsque les horaires sont contraignants et les revenus limités, la pression est maximale. 

Si elle est plébiscitée par les parents, gare aux pièges de la flexibilité : 81% des parents « flexibles » travaillent très souvent le soir, le week-end ou pendant les congés. C’est le syndrome de la « triple journée » : travailler en pointillé du matin au soir, quitte à finir tard une fois les enfants couchés.

Si certains s’accommodent de ce rythme, l’hyper-flexibilité peut vite devenir un enfer. Lorsqu’un enfant tombe malade, difficile de se mettre réellement en retrait. On travaille par à-coups, en forçant la machine dès que possible. Sur la durée, cette accumulation de fatigue ouvre la voie à l’épuisement parental.

Certains secteurs expérimentent des organisations innovantes : plannings auto-gérés dans la restauration, semaine de 4 jours chez Accor, regroupement des tâches télétravaillables un vendredi sur deux dans les magasins Apple. Autant de pistes pour offrir de la souplesse aux parents, sans tomber dans le « travailler plus ».

Point important : les organisations ont tout intérêt à sonder leurs salariés-parents pour identifier les freins et trouver des solutions sur-mesure. Le CHU de Bordeaux a notamment déployé un système de plannings à la carte pour ses infirmières, avec à la clé une réduction notable du stress.

Les salariés sont-ils bien informés sur les mesures mises en place ?

Là encore, les résultats de l’enquête sont clairs. Beaucoup de salariés ne savent tout simplement pas ce à quoi ils ont droit. Pire, certains ont l’impression que leur entreprise n’a pas vraiment envie qu’ils activent ces fameux droits, pourtant formalisés.

Deux facteurs peuvent expliquer ce faible niveau d’information. D’une part, les RH ne consacrent pas assez de temps pour bien diffuser le message. Une erreur classique est de ne pas partager l’info au bon moment. Cela relève du bon sens mais dans le flux du quotidien, certaines choses s’oublient. Ainsi, mieux vaut partager les informations reliées à la parentalité quand le salarié devient parent, plutôt que de noyer le poisson avec 12 000 papiers à l’embauche. 

Il arrive aussi que la transmission de l’information entre managers et salariés-parents soit aussi compliquée. Ca peut se comprendre : parler des situations personnelles et intimes est tout sauf évident. 

D’une part, les salariés eux-mêmes ne sont pas toujours à l’aise avec l’idée de se confier à leur manager. Sans même parler de naissance, prenons l’exemple des jours “enfants malades”. Qui a déjà osé prendre ses 5 jours dans l’année ? Est-ce bien vu ? Mal vu ? C’est toute la question de la perception qui entoure ces droits. Finalement, la culture d’entreprise et le regard des autres pèsent souvent plus lourd que le règlement intérieur.

La position du manager est extrêmement ambiguë, à cheval entre l’organisationnel et l’humain. Il doit pouvoir adapter le travail de l’équipe si un membre a un souci personnel, tout en restant garant de l’équité de traitement sur le long terme. Pas simple de trouver le bon équilibre, la situation peut vite devenir compliquée pour le référent. Comment réagir face à une salariée qui vient de vivre une fausse couche ? 

Les organisations doivent impliquer les managers, des initiatives intéressantes émergent. Certaines entreprises misent sur des référents parentalité pour incarner ces sujets au-delà des documents RH. 

Autre piste intéressante : miser sur l’intelligence collective et la solidarité dans l’équipe. Plutôt que de tout faire reposer sur le manager, encourager l’entraide entre collègues. Des petits arrangements au fil de l’eau, pour gérer un imprévu ou un coup de mou passager. Par ailleurs, c’est l’organisation globale de l’entreprise qui doit modifier certaines habitudes. Exemple : fixer des réunions à des horaires adaptés, assouplir certains process, promouvoir une culture du résultat plutôt que du présentéisme, etc. 

Au-delà des bénéfices des salariés, quels sont ceux pour l’entreprise ?

En reconnaissant les besoins liés à la parentalité, l’entreprise va assurer une vie professionnelle plus épanouie à ses employés-parents. Conséquence pour elle ? Ses salariés seront plus performants sur le long terme. 

Autre bénéfice pour les entreprises qui misent sur la croissance organique plutôt que sur les levées de fonds à tout va : la rétention des talents. Sans l’argument du salaire mirobolant, il faut trouver d’autres leviers pour attirer et fidéliser les talents. Et c’est là que la prise en compte des réalités de la parentalité peut faire la différence. 

En intégrant le fait que la performance n’est pas linéaire, qu’elle a ses hauts et ses bas au gré des aléas de la vie, on change complètement de paradigme. On passe d’une logique individuelle et court-termiste à une approche collective et durable, où chacun peut prendre le relais de l’autre quand cela est nécessaire.

Précision en passant : les boîtes ne doivent pas seulement penser aux nouveaux parents. Développer des programmes de soutien à destination des moins jeunes enfants leur permettra de garder leurs talents. Je pense notamment à deux entreprises (Harmonie Mutuelle et l’Oréal) qui ont créé un fonds pour financer les activités extra-scolaires et le coaching scolaire des enfants de ses salariés. Ces organisations ont compris une chose fondamentale : soutenir la parentalité, c’est s’offrir des chances de conserver ses talents plus longtemps.

Pour continuer à performer et à innover, les entreprises doivent aussi se réinventer pour séduire les nouvelles générations. Les fameux Millenials et la Gen Z ne veulent plus choisir entre vie pro et vie perso. Pour eux, c’est un tout, un équilibre non négociable au point d’être prêts à tout plaquer si leur job empiète trop sur leur vie.

Pour les retenir, il faut se réinventer, revoir ses processus de recrutement, repenser ses offres, challenger ses avantages. Bref, se mettre en mode écoute et test & learn pour trouver la formule magique. La parentalité est une matière à transformer, à part entière.  

Qonto a notamment mis en place un programme de coaching pour accompagner les parents qui reviennent de congé, histoire de les aider à apprivoiser leur nouvelle vie et à capitaliser sur leurs nouvelles compétences. Shine a également intégré le nombre d’enfants à charge dans son simulateur de salaire. Un petit détail qui peut faire toute la différence en termes d’attractivité et de fidélisation. 

Un petit mot pour conclure ?

La révolution en cours ne se limite pas à la parentalité. Elle englobe toutes les vulnérabilités et les moments charnières de la vie : le handicap, les maladies, le rôle d’aidant, etc. Autant de situations qui peuvent impacter la forme et la disponibilité d’un collaborateur, sans pour autant remettre en cause ses compétences et sa valeur. 

Pour les entreprises qui ont une fibre sociale et environnementale, c’est une question de cohérence. Comment prôner un modèle économique durable si on n’est pas capable de proposer un modèle humain tout aussi durable ? Un sacré défi, mais aussi une formidable opportunité de se démarquer et d’incarner ses valeurs.

****

POUR ALLER + LOIN :
☞ « Tout faire pour permettre aux parents de profiter » avec Marie Barbier (DRH Morning)
☞ Parental Challenge : 12 mesures pour une meilleure transition dans la parentalité

Sarah SONNECK

Sarah rédige des beaux contenus pour mettre en lumière nos espaces de travail, nos engagements et les engagés de cette société !